Dans le monde entier, chronique d’une extraordinaire entreprise de lobbying


DécryptagesEn Allemagne, en Irlande, en Italie, en Belgique, la plate-forme de VTC a cherché les meilleurs relais pour obtenir des réglementations favorables à son activité.

Les « Uber Files » dressent un portrait extrêmement précis des efforts déployés par la start-up américaine pour s’imposer dans les métropoles du monde entier, au milieu des années 2010. Véritable manuel pratique, ces 124 000 documents éclairent les différentes stratégies utilisées par les lobbyistes d’Uber pour imposer leurs vues, par la séduction ou par la force.

« Uber Files », une enquête internationale

« Uber Files » est une enquête reposant sur des milliers de documents internes à Uber adressés par une source anonyme au quotidien britannique The Guardian, et transmis au Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et à 42 médias partenaires, dont Le Monde.

Courriels, présentations, comptes rendus de réunion… Ces 124 000 documents, datés de 2013 à 2017, offrent une plongée rare dans les arcanes d’une start-up qui cherchait alors à s’implanter dans les métropoles du monde entier malgré un contexte réglementaire défavorable. Ils détaillent la manière dont Uber a utilisé, en France comme ailleurs, toutes les ficelles du lobbying pour tenter de faire évoluer la loi à son avantage.

Les « Uber Files » révèlent aussi comment le groupe californien, déterminé à s’imposer par le fait accompli et, au besoin, en opérant dans l’illégalité, a mis en œuvre des pratiques jouant volontairement avec les limites de la loi, ou pouvant s’apparenter à de l’obstruction judiciaire face aux enquêtes dont il faisait l’objet.

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En Allemagne, le rédacteur en chef et l’investissement secret

La voiture du PDG d’Uber, Travis Kalanick, une vieille BMW M3 convertible, est en panne. Il ne l’a pas fait réparer, et son permis de conduire est périmé. C’est en tout cas ce qu’il annonce, ce 8 juin 2016, sur la scène de la conférence NOAH, à Berlin, le rendez-vous annuel des entreprises européennes de la tech. Son arrivée a été remarquée : il est entré à bord d’une Trabant peinte aux couleurs des taxis berlinois, pour marteler le message que les taxis sont une abomination appartenant au passé.

A bord de la vieille voiture fabriquée du temps de la République démocratique allemande, le chauffeur est très connu en Allemagne : il s’agit de Kai Diekmann, le rédacteur en chef du tabloïd Bild, le plus populaire des journaux allemands, avec 1,2 million d’exemplaires quotidiens. C’est aussi M. Diekmann qui l’interroge sur scène. Mais aucun des deux hommes n’y révélera une information importante : depuis près d’un an, Uber cherche à recruter Kai Diekmann pour diriger son activité de lobbying en Allemagne – il rejoindra finalement l’entreprise en 2017, comme « conseiller politique ». Plusieurs documents des « Uber Files » montrent que l’embauche du dirigeant d’une des plus puissantes rédactions du pays était déjà discutée, en juillet 2015, entre les hauts cadres d’Uber en Europe.

Le groupe Axel Springer, qui possède « Bild » et de très nombreux autres médias, a discrètement investi dans Uber

Les participants à la conférence ignorent aussi que son organisateur, le groupe Axel Springer, qui possède Bild et de très nombreux autres médias, a discrètement investi dans Uber. Cette prise de participation, qui ne sera rendue publique qu’en 2017, s’élève à 5 millions d’euros, révèlent aujourd’hui les « Uber Files ». Une partie de cette somme a été versée « en médias », c’est-à-dire en publicités à tarif préférentiel, et notamment des coupons de réduction diffusés dans Bild sous forme de publirédactionnels.

Ce rapprochement entre le groupe Axel Springer et Uber a-t-il influé sur la ligne éditoriale des médias du groupe ? Sollicité par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), Axel Springer assure que son investissement dans Uber ne représentait que « 0,1 % de tous les investissements de l’entreprise ces dix dernières années », un montant « économiquement insignifiant ». M. Diekmann estime qu’il n’y a « jamais eu ni pu avoir de conflit d’intérêts entre [ses] nombreuses discussions avec des patrons du secteur de la tech et [ses] activités à Bild ».

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